Fleurs et pesticides

Un sujet très complexe et qui demande beaucoup de chapitres pour réussir à parler à la fois de la situation et des alternatives possibles à l'utilisation de fleurs coupées massivement traitées. 

TOXIQUE ?

Pas celles-ci juste au-dessus, non. Une bonne partie des fleurs utilisées quotidiennement par les fleuristes traditionnels, oui. 

Une étude belge* menée par Khaoula Toumi à l'université de Liège en 2018 a confirmé la présence de nombreux résidus de pesticides variés sur les fleurs coupées, quelle que soit leur origine. Pour démontrer leur dangerosité, la même équipe belge a en 2019 prélevé un total de 42 échantillons d’urine chez des fleuristes et constitué un groupe de contrôle. Dans ces échantillons, on retrouve un total de 70 résidus : 56 pesticides et 14 métabolites (molécules issues de pesticides dégradées suite à une réaction chimique avec l’environnement : plantes, ravageur ou sol), avec en moyenne 8 résidus par fleuriste. Ces résultats sont bien plus élevés que les résidus trouvés dans les urines du groupe de contrôle. En 2024, Bruno Schiffers qui fut jusqu'en 2018 directeur du laboratoire d'étude des pesticides à l'université de Liège et qui dirigea les recherches de K. Toumi, précise son propos dans le cadre d'une enquête menée par la cellule investigation du Monde / France Inter : selon lui, les fleuristes manipulent quotidiennement notamment des substances interdites en Europe.   

Conclusion : dans le cadre d’un travail de fleurs conventionnelles sans protection de type gants, les fleuristes sont sensiblement exposés à des substances cancérigènes, à des perturbateurs endocriniens et à des risques d’atteintes génétiques.

On sait donc cela depuis longtemps (de notre côté chez Désirée, on en parle depuis la parution de cet article en 2018, et ce sujet a été largement relayé dans le dossier publié par la journaliste Weronicka Zarachowicz, qui fit la couverture de Télérama en novembre 2018). 

TELERAMA NOV 2018 DOSSIER FLEURS COUPEES

 

Alors qu'est-ce qui a changé depuis 2018 pour que 6 ans plus tard, à l'automne 2024, le sujet ressurgisse brusquement, tandis que strictement rien n'a changé depuis dans la réglementation ? 

Le changement majeur vient de la première reconnaissance par un tribunal du préjudice subi par la famille d'une enfant décédée d'un cancer dont l'origine a pu être liée au métier de fleuriste de sa mère. Le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), créé en 2020 à destination prioritairement des agriculteurs, a reconnu pour la toute première fois le lien de causalité entre "la pathologie et son exposition aux pesticides durant la période prénatale".

Qu'est-ce que ces différentes informations nous apprennent sur la profession de fleuriste, et que peut-on faire pour échapper aux pesticides ? Il convient d'abord de comprendre pourquoi on traite les fleurs, et comment se présente le marché. 

Pourquoi les fleurs coupées sont elles massivement traitées ?

Contrairement à ce que l'on peut penser, les fleurs coupées commercialisées en France sont la plupart du temps importées : 85% de ces fleurs viennent de l'étranger, Hollande mais aussi des pays plus lointains comme Equateur, Colombie, Kenya ou Ethiopie. La consommation de fleurs s'est standardisée, s'orientant vers des produits (roses, lys) très différents de ceux que l'on voit dans les jardins, et exigés par les consommateurs toute l'année, quelle que soit la saison. 

Les fleurs sont sujettes à de nombreuses maladies et attaques d’insectes ; cela est renforcé par le mode de culture, souvent mono-variétal intensif (une seule variété produite sur une parcelle = un super terrain de jeu pour les bestioles ou champignons qui voudraient s’y reproduire, passant d’une fleur à l’autre sur toute la parcelle). Lorsque l'on produit en désaisonnalisant les fleurs, en les forçant, on les fragilise. Autant de raisons liées à la façon de produire les fleurs coupées de manière industrielle qui créent un besoin de traitement intensif : les fleurs doivent être parfaites, n'avoir aucun défaut, sont fragiles, sujettes aux maladies, transportées en milieu humide. Pesticides et fongicides sont donc largement appliqués, pendant la production mais aussi dans certains cas après la récolte. 

Il n’existe pas pour les fleurs de « limites maximales de résidus » de pesticides (la "LMR", fixée par un règlement européen de 2005 pour les produits alimentaires), seuil à ne pas dépasser pour autoriser la commercialisation d’un produit – on réserve ce contrôle aux denrées alimentaires et aux aliments pour animaux.

MARCHE AUX FLEURS AALSMEER
Audrey, Mathilde et Masami en visite au marché aux fleurs d'Aalsmeer, où elles n'achètent rien mais qu'il fallait bien découvrir. 

Il est donc possible d'introduire en Europe des végétaux traités avec des produits phytosanitaires interdits pour les cultures européennes. Cette part est assez difficile à évaluer, car les informations données par l'interprofession Val'hor sont fausses par omission : on y lit que côté fournisseurs, 80% des importations françaises de fleurs coupées en valeur proviennent des Pays-Bas. Mais les Pays-Bas importent eux même une grande quantité des fleurs coupées qu'ils vendent sur le marché européen : 60% des fleurs coupées d'import vendues en Europe transitent par la Hollande. En 2014, la rose représentait 65% des imports européens depuis des pays en développement, pour un montant total de 678 millions d'euros. 

L'opacité du marché est telle qu'il est à ce jour impossible de dire précisément quelle part des fleurs importées en France (85% de celles vendues au total en France) a poussé en Hollande et quelle part a poussé hors de l'Union Européenne. 

Voilà pour les bonnes nouvelles.

Pourquoi c'est dangereux ? 

Il est aujourd'hui prouvé que les pesticides représentent un danger pour la santé humaine et la biodiversité, et si quelqu'un nous embête là dessus, on rajoutera des sources. Les deux dangers principaux pour les fleuristes des pesticides sur les fleurs coupées trouvent leur origine dans des spécificités du métier : 

1) l'effet cocktail 

L'effet cocktail résulte du mélange de différents pesticides et fongicides. Conjugués, ces produits phytosanitaires produisent des effets qu'il est très difficile de prévoir, les différentes molécules pouvant se recombiner entre elles. Ainsi, deux produits autorisés sur le marché peuvent devenir très dangereux s'ils se rencontrent. Par la structure du métier (arrivages de fleurs variées deux à trois fois par semaine), les fleuristes créent des cocktails sans le savoir. 

2) le cadre de travail 

Ah, la boutique de fleurs... son esthétique, son charme : le métier attire et on entend quotidiennement cette phrase : "quelle chance vous avez de travailler au milieu des fleurs". Dans cet environnement apparemment inoffensif, on se nourrit, on se réchauffe avec un petit thé dans lequel des feuilles trempent à chaque tasse. Le tout au milieu des fleurs qu'on travaille sans gants, et sans se laver les mains. 

Ces deux effets combinés font que les fleuristes sont globalement plus exposés que les agriculteurs en conventionnel aux risques créés par les produits phytosanitaires. 

Comment éviter l'exposition des fleuristes et des consommateurs ? 

Alors que faire ? Déjà, contrôler la traçabilité. Un certain nombre des substances retrouvées sur ces fleurs sont interdites en France. Acheter des fleurs françaises, c’est déjà se prémunir contre ces pesticides-là. Mais attention, production française ne rime pas forcément avec absence de pesticides. 

Pour mieux faire, il faut déjà respecter les saisons : les fleurs qui ne sont pas désaisonnalisées ne sont pas fragilisées, et résistent mieux et plus naturellement aux aléas climatiques et aux ravageurs.  

Il faut ensuite observer les types de culture. Les producteurs de variétés champêtres et multiples, comme les Fleurs du Moulin ou Philippe Deletoille, cultivent rangées par rangées de nombreuses variétés et empêchent ainsi les ravageurs de détruire toutes leurs cultures. Cette méthode, et une sélection variétale très poussée, leur permet de ne plus traiter du tout. Certains ont également des labels permettant de garantir un usage très raisonné des traitements chimiques, remplacés bien souvent par de la lutte biologique. Nos amis Audrey et Ludo Morel sont ainsi labellisés Plante Bleue, haute qualité environnementale. Ils bénéficient des recherches du SCRADH, centre de recherche horticole de la région du Var, qui permet de passer sur certaines variétés de 40 à 4 traitements par an.

Enfin, garder la tête froide. Une fois de plus, la nuance est de mise. Aucun producteur ne balance par plaisir des pesticides sur ses cultures en s’en mettant au passage plein les poumons, d’autant que les pesticides sont chers. Il existe aujourd’hui de nombreuses alternatives aux traitements chimiques, de plus en plus utilisés par les producteurs horticoles. Le meilleur moyen de le faire, c’est d’aller vérifier sur place et d’échanger avec eux, ce qui est évidemment plus facile à faire si on s’approvisionne en France plutôt qu’au Kenya ou en Equateur (même si la plupart du temps, toutes les fleurs sont étiquetées « Hollande », là où on perd la traçabilité alors qu’elles ont transité depuis des pays bien plus lointains).

Une chose est certaine : ce n’est pas ce que nous avions en tête en commençant notre formation, et certainement pas ce dont sont conscientes les nombreuses personnes qui nous contactent en entamant leur reconversion. Il est grand temps que les pouvoirs publics se saisissent de cette question qui nous concerne tous, et que l’on accorde aux fleuristes la même attention que celle accordée à l’alimentation de nos animaux. 

Référence de l’article source :
*Toumi, Khaoula & Joly, Laure & Vleminckx, Christiane & Schiffers, Bruno. (2019). Biological monitoring of exposure to pesticide residues among Belgian florists. Human and Ecological Risk Assessment : An International Journal. 26. 1-18. 10.1080/10807039.2018.1528860.

* Statistiques du marché hollandais des fleurs coupées et feuillages, 2016 
Le titre de cet article est quant à lui emprunté au dossier très complet de Weronicka Zarachowicz paru dans Télérama le 13 novembre 2018.

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Désirée, fleuriste engagé

Désirée est un fleuriste 100% fleurs françaises et de saison, en livraison à Paris en vélo.

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