Muguet du 1er mai : les fleuristes peuvent-il ouvrir leur boutique ?

Il est d'usage le premier mai d'acheter pour soi ou d'offrir un petit brin de muguet porte bonheur. Cette tradition remonte au début du 20ème siècle et a été renforcée par l'institution de la Fête du Travail comme jour férié chômé en France en 1947. 

On avait déjà raconté ici pourquoi on offre du muguet le 1er mai, et côté faits historiques rien n'a changé :) 

Ce qui a changé en revanche cette année, c'est tout un battage médiatique autour de l'ouverture traditionnelle des fleuristes le premier mai. Tout a commencé avec un article de Ouest France qui relatait les contrôles menés par l'Inspection du Travail dans des boulangeries en Vendée en 2024. A ce stade on parlait uniquement des boulangeries, qui vendent le 1er mai du pain, comme les 364 autres jours de l'année. Nul besoin donc de se poser de questions côté fleuristes, pour qui on a toujours considéré que la vente du muguet du premier mai justifiait "en raison de la nature de leur activité" l'ouverture le 1er mai. Pas d'inquiétude, jusqu'à ce que la Fédération française des fleuristes jette de l'huile sur le feu en envoyant à toute la profession une newsletter au titre aguicheur : "le 1er mai, tout le monde peut vendre du muguet, sauf les fleuristes". La fédé qui crie au loup avec un remarquable sens du timing, braquant les projecteurs sur ... les fleuristes. S'ensuit une récupération politique, la ponte immédiate d'une proposition de loi permettant aux boulangers et aux fleuristes d'ouvrir le 1er mai qui pourrait être examinée en juin prochain (trop tard, dommage), nous mettant dans le même pétrin que les boulangers. 

Si le Code du Travail est en effet assez clair sur le fait que le 1er mai est un jour obligatoirement chômé (article L-3133-4 du Code du Travail : "Le 1er mai est jour férié et chômé"), il prévoit des dérogations dans les deux articles suivants pour "les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail", prévoyant que les salariés occupés le 1er mai ont droit à un double salaire ce jour-là. Les dispositions relatives au 1er mai ne figurent pas dans la partie "disposition d'ordre public" (si ce n'est pas d'ordre public, il est possible d'y déroger contractuellement). 

Parallèlement, la Convention collective des fleuristes prévoit dans son article 7.6 que le 1er mai peut être travaillé par décision de l'employeur en raison des nécessités de l'entreprise, "dans les conditions prévues par la loi", c'est-à-dire en prévoyant une indemnité doublant le salaire perçu ce jour-là.

Chez Désirée, on n'est pas spécialement partantes pour ouvrir à tout va : on est d'ailleurs traditionnellement fermées (à la différence de beaucoup de fleuristes) le 25 décembre et le 1er janvier. Le travail n'est pas toujours la santé, et un peu de repos est souvent bienvenu. Reste que pour le 1er mai spécifiquement, la fermeture comme ça du jour au lendemain n'est pas évidente, surtout quand on nous brandit une épée de Damoclès au-dessus de la tête avec 3 semaines de délai. Pourquoi ça ? Parce qu'il y a toute une filière derrière ces petits brins du 1er mai...  

Travail que vaille : pourquoi on ne peut pas si simplement fermer le premier mai

Le muguet n'est plus cueilli dans les bois ou très peu : c'était d'ailleurs cette cueillette sauvage que l'on pouvait revendre dans la rue le 1er mai "à la sauvette". Aujourd'hui, les petits brins que vous verrez dans leur emballage plastique, accompagnés d'une mini rose dans une pipette sont produits dans la région de Nantes par des maraîchers spécialisés dans ce produit (le muguet, pas les roses, qui vu le prix nous viennent probablement tout droit du Kenya ou d'Ethiopie). Et c'est aussi bien quand ces vendeurs et vendeuses à la sauvette achètent ce muguet : à cette période, le vol de muguet est fréquent. En 2024, nous avons été victimes d'une tentative de cambriolage dans la nuit du 30 avril au 1er mai, nous laissant avec une porte en bois ancienne à remplacer. La deuxième quinzaine d'avril, nos producteurs emploient des vigiles pour surveiller leurs champs, tant il est fréquent de retrouver tout dézingué par un beau matin de printemps. Le produit de ces vols sera bien-sûr revendu le 1er mai, en cash, dans la rue. 

En Ile-de-France, on produit un produit assez différent de ces petits brins (et plus sympa selon nous) : le pot de muguet, pot de terre cuite contenant 3 à 10 "griffes" (le nom de la petite racine de muguet), produit chez nos producteurs de fleurs coupées. Les griffes sont achetées à des producteurs spécialisés en Allemagne à l'automne précédant l'année, puis rempotées, bichonnées, sélectionnées pendant 2 mois et demi pour nous arriver toutes belles en pot au 1er mai. 

Ces productrices et producteurs ont donc investi souvent des dizaines de milliers d'euros dans la culture de produits qu'ils vendront quasi-exclusivement aux fleuristes. Accrochez-vous, c'est l'heure des chiffres. Selon France Agrimer et Valhor, les fleuristes représentent 42% des ventes de muguet, la grande distribution 29% et la vente dans la rue 4%. Le muguet se vend à 52% fin avril, à 42% le 1er mai. En faisant quelques produits en croix, on estime donc que fermer les fleuristes le 1er mai, c'est tirer un trait sur 5 millions d'euros (sur les 20 millions que représentent le muguet) de ventes, de chiffre d'affaires pour les producteurs, et de chiffre d'affaires pour les fleuristes (oui oui on va pas faire la blanche colombe, on parle aussi pour nous et notre profession).  Profession qui au passage ne va pas si bien, puisqu'on a perdu quasiment 10 000 entreprises pour passer de 17 000 à 7600 en 10 ans. 

Et c'est là plus une affaire d'écosystème qu'une affaire de gros sous : chez nous qui ouvrons une demi journée et payons nos équipes double ce jour-ci en leur offrant en supplément une journée de récupération, le muguet n'est pas particulièrement rentable. Il est en revanche important à deux égards : 

  • d'abord pour nos producteurs d'Ile-de-France : si les fleuristes ferment le 1er mai, ils doivent couper drastiquement la production de pots. Ce revenu est pourtant intéressant pour eux en début de saison, puisqu'il leur permet d'aborder l'année de production avec une trésorerie suffisante pour investir dans les plants, les graines et le matériel nécessaire à la saison; 
  • ensuite parce que c'est quand même joli, le beau muguet. Ca sent bon, c'est pas très cher, c'est un pot, les bulbes se replantent... Une façon d'annoncer le plus beau du printemps et l'été qui vient, un rituel ancien qu'on se plaît à renouveller. 

Comme toujours rien n'est simple dans cette affaire : ne prendre les choses que par un seul bout de la lorgnette ne suffit pas et la filière doit être considérée dans son ensemble pour prendre la mesure des implications d'une interprétation plus ou moins stricte du Code du Travail. Quant à nous cette année, nous ouvrirons pour profiter une fois de plus de ce beau muguet produit en Ile-de-France par Didier, Julie, Valentin, Nadège et Bruno, en espérant que ça dure encore ! 

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Désirée, fleuriste engagé

Désirée est un fleuriste 100% fleurs françaises et de saison, en livraison à Paris en vélo.

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